C’est la nouvelle salle de presse virtuelle. Twitter est devenu le passage obligé pour les journalistes politiques, d’autant plus depuis la dernière élection présidentielle.

En costume-cravate dans sa voiture, tout juste sorti de l’Élysée, Christophe Castaner s’empare de son smartphone. Sur Twitter, le porte-parole du gouvernement débriefe en vidéo le conseil des ministres. Une formule inédite, qu’il a lancé le 4 octobre 2017. Plus que jamais depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, Twitter est devenu un média parallèle pour les politiques, donc incontournable pour les journalistes.

« Certains tweets de la présidence de la République ou de ministres du gouvernement sont des communiqués non officiels de l’Élysée. Il est compliqué d’avoir accès à ce contenu politique informatif exclusivement disponible sur Twitter, sans avoir Twitter », affirme Nassira El Moaddem, rédactrice en chef du Bondy Blog à la Fabrique de l’Info.  

Sur Twitter, les politiques échangent, postent et commentent les publications de leurs collègues. Le nouveau salon politique virtuel prend de plus en plus d’ampleur.  « La stratégie social media du gouvernement est très habile et aboutie sous Macron, beaucoup plus que sous Hollande. Il publie beaucoup de contenus exclusifs sur les réseaux », constate Rémy Buisine, journaliste de Brut. Au gouvernement, nombreux sont les ministres qui n’étaient pas sur Twitter avant de prendre leur poste en mai dernier : Muriel Pénicaud, la ministre du Travail, Agnès Buzyn, ministre de la Santé ou encore Florence Parly, ministre des Armées, ne s’y sont inscrites que cet été. Plus que jamais, Twitter est devenu le réseau social des « breaking news » politiques.

 

Etre twitto, être journaliste, ça va de pair

En 2016, 91 % des journalistes inscrits sur Twitter l’utilisent à des fins professionnelles (enquête de Cision en 2016). Pour avoir des informations, mais aussi pour en transmettre. «Quand je suis à l’Assemblée, je fais des live-tweets. C’est sur Twitter que je raconte vraiment tout, même ce qui n’est pas essentiel comme des
anecdotes »,
 précise Hélène Bekmezian, journaliste au
Monde. Souvent, le réseau accueille les punchlines des politiques, relevées par les journalistes en temps réel. Un régal pour les abonnés, qui s’empressent de le partager.

Pour Rémy Buisine, l’art de jouer avec les réseaux sociaux est devenu inhérent au travail des journalistes politiques. « Dans beaucoup de médias, quand un journaliste poste un tweet, les community managers de la rédaction se chargent de le partager. Du coup, l’abonné voit vraiment le travail du journaliste sur le terrain, voire même les coulisses. C’est très habile comme stratégie de la part des médias. » D’ailleurs, le journaliste note que lors de chaque grand événement politique, les médias s’empressent de faire une revue des tweets qui ont le plus fonctionné. A l’instar de l’article du Lab d’Europe 1, qui énumérait les tweets scandaleux des politiques juste après les attentats de Barcelone les 17 et 18 août 2017.

« Aujourd’hui, le temps politique passe par Twitter », affirme Rémy Buisine. « Si l’on veut être complet et être au courant en temps réel, c’est indispensable. Les politiques ne prennent pas forcément la parole devant un pupitre tout de suite mais communiquent directement sur les réseaux sociaux. Le président de la République lui-même commence par poster un tweet. Ne pas suivre Twitter, c’est passer à côté des réactions politiques. »

 

Prendre la température du débat public

Au-delà de la communication du gouvernement, Twitter permet aux journalistes politiques de savoir ce qui fait débat entre les citoyens lambdas. « Pour avoir la parole des autres aujourd’hui, Twitter est indispensable », affirme Nadia Daam, chroniqueuse pour Slate et Arte. « ll nous permet de sentir les sujets qui divisent ou qui réunissent. » Nassira El Moaddem confirme, en prenant l’exemple de la première interview d’Emmanuel Macron le dimanche 15 octobre. « Simultanément sur Twitter, il y avait un débat très animé sur les ordonnances de la loi travail et sur la réforme chômage. C’était un moment important de la vie démocratique et médiatique du pays. » Sans compter les militants politiques, très actifs sur Twitter. « Ils n’ont pas d’attaché de presse ou de site Internet. Les réseaux sont leur nouvelle plateforme de diffusion de leurs actions », explique Rémy Buisine.

> À voir : Ce qu’il faut retenir de l’interview télévisée d’Emmanuel Macron (France TV Info)

Récemment, le hashtag #balancetonporc a généré des millions de tweets. Pour Nadia Daam, les journalistes politiques ne pouvaient pas passer à côté. « Marlène Schiappa, la secrétaire d’État à l’égalité homme-femmes, l’a pris en compte et à cœur. Très réactive sur Twitter sur le sujet, elle a aussi annoncé la création d’une loi contre les violences sexistes et sexuelles dès 2018. » 

« C’est pour cela que le débat Twitter devient important : il prend une place dans les actions politiques », continue Nadia Daam. Outre le harcèlement de rue, le racisme, les discriminations et certains faits de violence sont dévoilés sur Twitter et atteignent le « Top Tweet », les tweets les plus populaires. Une mine d’or pour les journalistes, qui y dénichent parfois des posts inespérés. Pour Rémy Buisine, cela permet aussi de trouver des témoignages cruciaux lors d’événements. « Il faut se rendre à l’évidence. Les premiers qui postent sur ce qu’il se passe dans la rue ne sont plus les journalistes. »

Dans son étude Journalistes et réseaux sociaux : évolution ou révolution ? publiée en 2012, la journaliste indépendante Nathalie Dollé mentionne le tweet d’un internaute Pakistanais en mai 2011 qui s’inquiète de la présence d’un hélicoptère au-dessus de chez lui. Quelques instants plus tard, on apprend l’exécution de Ben Laden par les forces américaines. « Le principe du témoin n’est pas nouveau. Ce qui change avec Twitter, c’est la rapidité », explique-t-elle.

Avec la multitude d’informations, de réactions et de sources qu’offre Twitter, les journalistes doivent intensifier leur travail de vérification et de recoupage des sources. Mais ils doivent aussi contrôler d’autant plus ce qu’ils postent. Thomas Wieder, journaliste au Monde, en avait fait les frais lors du voyage de François Hollande aux États-Unis. Il avait publié un selfie dans le bureau ovale, près de Barack Obama. Les internautes sont choqués par la démarche, qu’ils jugent déplacée.

Le journaliste est obligé de se justifier dès son retour. « J’avais la tête ailleurs, je me suis autorisé un instant de légèreté. Cette journée à Washington, il fallait la traiter sérieusement, avec des live-tweets et des articles. »

 

Des journalistes pas dupes

Twitter est devenu, dans le monde du journalisme, autant une prescription professionnelle qu’une injonction sociale, selon l’enquête Étude de la sociabilité des journalistes sur Twitter de Rémy Rieffel et Josiane Jouët en 2015. Si Twitter a désinhibé les journalistes, le contenu qu’ils produisent sur le réseau n’est pas sans conséquence. À eux aujourd’hui de peser le pour et le contre avant de poster un tweet. « Pendant la campagne présidentielle, nous étions choqués personnellement par les propos de Fillon  à l’égard des journalistes. Mais nous étions obligés de contenir nos propos sur Twitter, pour ne pas engager notre journal », se rappelle Hélène Bekmezian. Pour Rémy Buisine, « faire des commentaires, ce n’est pas notre rôle. Nous sommes journalistes, pas éditorialistes. On se doit de montrer ce qu’il se passe, d’être la passerelle entre l’événement et le grand public. » Difficile parfois pour les journalistes de faire la part des choses entre donner leur avis personnel sur leur compte et relayer des informations.

 

Twitter permet d’incarner le propos journalistique et de donner de la visibilité aux journalistes. Mais pour Louis Hausalter, journaliste de Marianne, Twitter ne peut pas remplacer les médias traditionnels. « Un vrai scoop sera sorti par les médias. Twitter n’est qu’un vecteur d’information comme un autre. Même si le réseau social permet d’avoir l’information plus vite, il n’est qu’une caisse de résonance. » Pour le journaliste, les posts des internautes sont à prendre avec précaution et ne peuvent pas définir une tendance générale. « Je n’aime pas les papiers qui commencent par “Twitter s’indigne de…” Sur ce réseau, certains milieux sont beaucoup plus représentés que d’autres. Cela ne représente pas l’opinion publique. Ce n’est pas un critère d’évaluation des changements de la société française. Faire du journalisme uniquement à partir des tendances des twittos, cela me paraît faussé. »

Certains n’hésitent d’ailleurs pas à dénoncer l’entre-soi politico-journalistique de Twitter. Les politiques suivent des journalistes, qui s’abonnent eux-même aux politiques et ce petit groupe débat ensemble. Selon l’étude de Rémy Rieffel et Josiane Jouët, Twitter n’est « qu’un petit monde qui se regarde ». Ainsi, le 16 octobre 2017, Sophia Chikirou s’est indignée sur Twitter du faible traitement médiatique de l’attentat en Somalie. 

La fondatrice de Le Média, une web-télé soutenue par la France Insoumise, a aussitôt été prise à parti par plusieurs journalistes. Au total, ils sont 14 à lui avoir répondu, en reprenant les nombreux articles traitant du sujet. Dans les heures qui ont suivi, des grands médias comme Libération ont démenti ses accusations.

Et du microcosme à l’élitisme, il n’y a qu’un pas. Pour Nassira El Moadem, il est nécessaire d’inverser la tendance en « suivant des personnes qui ne sont pas de notre milieu. Je follow des syndicats, des ministères, des associations de banlieue, sur l’égalité… Il faut prendre en compte la diversité des profils ». Encore faut-il pouvoir le faire : en 2017 en France, 16 millions de personnes seulement sont actives sur Twitter …  Contre 33 millions sur Facebook.

> À voir aussi : Twitter, l’outil devenu indispensable aux politiques (France TV Info)

Aurore Esclauze