“En voiture citoyens!”, l’émission conduite par la journaliste Ludivine Tomasi, donne la parole à des Français de tous horizons. Le temps d’un trajet, les voyageurs s’expriment sur les sujets qui les préoccupent. Des échanges anodins aux allures de réflexions politiques.
“Est-ce que vous allez voter ?” demande Ludivine à ses trois passagers, montés dans sa voiture quelques minutes plus tôt à Bordeaux. “Oui !” répondent en choeur Fatah, Clara et Justine. Cet échange pourrait avoir lieu dans n’importe lequel des milliers de covoiturages qui sillonnent les routes de France chaque jour et rester parfaitement anodins.
C’est en réalité l’expression d’un journalisme politique qui se renouvelle. Cette discussion menée par la journaliste Ludivine Tomasi a été filmée dans le cadre de l’émission “En Voiture Citoyens!” et diffusée le 25 mars 2017 sur La Chaîne Parlementaire (LCP). Loin des ministères, des parlements et des émissions télé ou radio, où d’autres journalistes courent derrière les politiques pour un article ou une interview, Ludivine Tomasi prend la route à la rencontre des Français et de leurs préoccupations. “Les deux démarches sont compatibles et se complètent. Les deux doivent marcher ensemble”, assure-t-elle.
“Revenir à la forme d’expression citoyenne primaire”
La forme de journalisme politique qu’incarne la jeune femme est “MoCiNiste : mobile citoyen et humaniste”, plaisante la journaliste cherchant à définir en un mot sa démarche. Une cinquantaine de passagers sont déjà montés aux côtés de la journaliste qui estime faire un journalisme sociétal plus que politique. “Je fais « En Voiture Citoyens ! » car je veux donner la parole aux premiers concernés par les choix politiques alors que l’abstention bat des records et que les grèves ou les manifestations sont de moins en moins suivies. Je veux ainsi revenir à la forme citoyenne primaire : le débat, l’agora”, explique la journaliste.
Il ne s’agit pas d’une mise en scène, il n’y a pas de casting pour participer à l’émission. Les participants se sont tout simplement inscrits sur Blablacar pour embarquer dans la voiture de Ludivine Tomasi afin de se rendre vers la ville de leur choix. Une fois les présentations faites, il est temps pour les participants d’embarquer pour un trajet plein de discussions aux sujets très politiques. Emploi, éducation, terrorisme, santé, laïcité… Le champ des thèmes évoqués dans les différentes émissions est vaste.
La force du programme ? La liberté de ton, la décontraction des protagonistes et la simplicité des échanges. On est loin des plateaux TV où un panel de citoyens, savamment sélectionnés, a l’occasion d’échanger pendant moins de cinq minutes avec un politique, avant d’avoir la parole coupée par un journaliste. Dans sa voiture Ludivine Tomasi est proche de ses invités et installe rapidement le tutoiement. Ce format nécessite que le journaliste s’implique personnellement dans le programme. Il ne s’agit pas de lire des fiches ou un prompteur mais de créer un lien, même le temps de deux heures avec l’interlocuteur.
Ce n’est pas forcément à la portée de tous les reporters. Ludivine Tomasi a depuis longtemps le goût des rencontres avec les citoyens. A l’IJBA, où elle a été formée, elle appréciait déjà recueillir des témoignages et faire des micro-trottoirs. Avec “En voiture citoyens !”, la journaliste ne croise pas seulement les Français, mais les rencontre et en profite pour échanger longuement. “On a tourné en période électorale mais aussi après les attentats et je crois que ça fait du bien à tout le monde de pouvoir en parler. Les gens ont besoin de se retrouver avec d’autres citoyens et de parler.” Pour la journaliste, le plus important dans ce journalisme politique auprès des Français est de “se mettre à la place des gens”. Les sujets évoqués sont directements liés aux passagers qui partagent alors plus qu’un avis mais un témoignage sur leur quotidien.
Eviter la discussion de comptoir
Si les covoitureurs s’expriment sur des sujets qui les concernent, ils ne sont pas forcément spécialistes. Dans la décontraction du voyage, à bord du véhicule, les propos sont parfois moins réfléchis. “Ça peut faire penser à du divertissement, c’est la limite de l’exercice, concède la conductrice. L’émission doit être vivante pour être regardée mais veut que le fond soit un minimum intelligent”, explique-t-elle. Ludivine Tomasi se charge d’apporter à chaque émission et par petites touches, des éléments d’informations pour aiguiller la discussion. Le programme court (entre 11 et 15 minutes) ne donne pas l’occasion à de longs débats. “Je pose une petite pierre” dans le débat démocratique, juge-t-elle.
Dans sa voiture, Ludivine Tomasi prend le pouls de la société française. Certes, ses passagers ne sont qu’un échantillon de ce que sont les Français aujourd’hui mais l’important reste les échanges. “Cela prend un sens tout particulier pour moi dans ce contexte tendu où plusieurs facteurs économiques et identitaires font que, sans parler de révolution, un soulèvement populaire est, selon mon ressenti, parfois sur le point de se produire.”
Aller plus loin que l’anecdote
Une fois les critiques et les idées exprimées par les citoyens face caméra, quelle suite à ces échanges ? Les préoccupations, les souhaits exprimés trouvent-ils un écho au-delà de l’anecdote du voyage ? “C’est un instant T, affirme Ludivine Tomasi. Les échanges ne resteront pas anecdotiques si l’émission est regardée par quelqu’un qui va en parler à un proche et ainsi de suite. Mais je ne maîtrise pas les effets de l’émission.” Pour ce qui est de la réception du programme par les politiques, Ludivine Tomasi a bon espoir: “Je pense que les politiques regardent beaucoup La Chaine Parlementaire donc j’espère qu’ils s’intéressent à ce que pensent les citoyens.
” Pour aller plus loin, “il faudrait faire entrer un politique dans la voiture ou que la séquence devienne une pastille dans une émission où les politiques seraient amenés à réagir aux propos des covoitureurs”, imagine la journaliste. Le but premier c’est de dire : citoyens, on vous écoute, parlons-nous, c’est la première étape pour faire avancer les choses.” Le voyage de Ludivine Tomasi au contact des français se poursuivra jusqu’en mai 2018. LCP a pris l’option de poursuivre l’aventure motivée en 2017 par les élections. Le journaliste peut donc aussi s’intéresser aux préoccupations des Français en dehors des périodes électorales. Voilà un nouveau journalisme politique qui roule.