Le Média, nouvelle web télé d’opinion aux convictions marquées, doit braver la tempête médiatique. Sa ligne éditoriale n’a pas manqué d’inquiéter la presse généraliste, qui le soupçonne de promiscuité idéologique avec La France Insoumise. Pourtant, contre vents et marées, le projet se met en place…
Publié le 27 septembre 2017 dans Le Monde, le manifeste pour un nouveau média citoyen signé par un collectif de cinquante personnalités politiques, de la société civile et du spectacle, a donné le coup d’envoi à la création du Média. Sophia Chikirou, conseillère en communication de Jean-Luc Mélenchon, et le psychanalyste Gérard Miller, proche du leader des Insoumis sont à l’initiative du projet. Qualifié de média alternatif éloigné du modèle économique et idéologique dominant, la web TV sera « coopérative », « indépendante » et gratuite.
« Pour l’instant, on n’a toujours pas de locaux », précise Aude Rossigneux, rédactrice en chef du Média, à La Fabrique de l’Info, quelques jours après le lancement de la campagne de financement auprès du public. « La levée de fonds est prometteuse, nous allons donc commencer à chercher un lieu », ajoute-t-elle.
Quinze journalistes vont rejoindre la rédaction courant novembre. Parmi les deux cent CV déjà sur son bureau, le choix ne sera pas aisé et se portera vers des profils ayant l’expérience de la télévision et de la presse écrite.
« On veut de la slow news »
Quant au contenu de la grille de la web TV, il sera dévoilé le 16 novembre. Si la réflexion autour des programmes est en cours, la ligne éditoriale est claire et assumée : il s’agira d’un média pluraliste, subjectif et participatif, clairement affilié à des idées de gauche. « On prend l’engagement d’être solidaire des luttes sociales, écologistes, féministes, anti-racistes partout dans le monde », précisait-elle lors de la soirée de lancement de la campagne de financement.
Premier grand rendez-vous avec le public, le 15 janvier pour le JT de 20 heures, journal généraliste qui traitera de l’information du jour, avec des sujets et des reportages sans oublier les prévisions météo. Le Média souhaite se démarquer des journaux audiovisuels traditionnels en proposant des sujets de décryptage et d’analyse. S’opposant au traitement en urgence, Le Média se donnera le temps d’approfondir les contenus : « si un sujet important arrive lundi, on veut être en mesure de pouvoir en parler jeudi, afin d’interviewer les bonnes personnes », déclare Aude Rossigneux. Un fil info complétera le JT.
Le week-end, Le Média veut proposer des universités populaires, des émissions thématiques, culturelles, ainsi qu’un programme sur « les droites ».
À terme, Le Média envisage de développer sa grille pour être présent 7/7j, 24/24h et « pourquoi pas ensuite demander une fréquence TNT au CSA », déclare Aude Rossigneux, confiante.
« Inviter l’extrême droite ? Il n’en est pas question »
Des débats seront également organisés et des intervenants de toutes tendances politiques seront invités… Ou presque : « On a pris l’engagement d’être un média pluraliste, mais notre limite, c’est l’extrême droite », tranche la rédactrice en chef.
Guillaume Tatu, animateur de la soirée de lancement et ex-journaliste à I-télé, refuse lui aussi d’accorder une quelconque tribune à l’extrême droite : « On est un média de gauche, je ne vois pas pourquoi on ferait intervenir des gens du FN que la France Insoumise n’a cessé de combattre. Si on peut se passer d’eux, on le fera. »
Comment justifier son pluralisme quand on ne souhaite pas ouvrir ses portes aux avis contradictoires ? Et surtout, comment Le Média peut-il se préserver d’une connivence avec les dirigeants de La France Insoumise, lorsque Jean-Luc Mélenchon est susceptible d’être invité en tant que leader de La France Insoumise ? C’est ce que les journalistes de certains médias généralistes craignent.
« Clamer haut et fort qu’ils seront indépendants, c’est faux »
Arnaud Mercier est professeur en sciences de l’information et de la communication à l’IFP. Spécialisé en sociologie du journalisme, il est convaincu que Le Média tombe dans un écueil : « Il est soi-disant indépendant des puissances de l’argent, mais ça reste un organe officiel visant à propager la « bonne parole », surfant sur l’idée qu’il faut être différent des autres, mais certainement pas pour être plus objectif. » Pour lui, « chercher à valoriser des acteurs politiques qui leur semblent proches d’eux, ce n’est pas condamnable en soi, du moment que les gens le savent. Mais clamer haut et fort qu’ils vont être indépendants, c’est faux. »
Tristan Mendès-France, journaliste spécialisé en nouvelles cultures numériques, partage cet avis : « Si le traitement médiatique est unilatéral et qu’il n’attaque jamais “son idole”, c’est un organe de propagande. Je suis un peu inquiet à propos du staff autour du Média. »
Interrogé par La Fabrique de l’Info, Alexis Lévrier, historien de la presse et auteur de l’ouvrage « Le contact et la distance: le journalisme politique au risque de la connivence », réagit au lancement de ce nouveau média.
À ces accusations, Aude Rossigneux répond. Pour elle, le statut d’agence de presse est déjà un gage d’indépendance financière, juridique et administrative. Ce statut est ainsi le garant d’une déontologie journalistique. Lors de la soirée de lancement, elle a précisé que seuls les journalistes pourront avoir un droit de décision sur la ligne éditoriale.
Autre garantie ? Les 80 signataires du manifeste. Pour Guillaume Tatu, il y a un pacte de confiance à respecter : « 80 personnalités non issues de La France Insoumise ont signé le manifeste. Si on voulait faire la télé de Mélenchon, on se ferait dézinguer par les personnes qui nous soutiennent […] Les gens veulent juste un média de gauche aux valeurs humanistes. S’ils ne nous soutiennent plus, il n’y a plus de média ! L’équation est simple. »
« Tous les médias sont de parti pris »
Se revendiquant de la pensée de Beuve-Méry, fondateur et premier directeur du Monde, Aude Rossigneux prône une subjectivité honnête, précisant dans un article de Marianne que l’exigence d’objectivité des médias mainstream est une farce, une ineptie, qui contribue à la défiance générale vis à vis de l’information. « L’objectivité est un mythe vieux de deux siècles qu’il faut maintenant déconstruire », affirme-t-elle.
Le débat entre objectivité et subjectivité du journaliste n’est pas nouveau. Pour Daniel Cornu, journaliste et médiateur à La Tribune de Genève, si l’objectivité en journalisme est un défi difficile à relever, le public continue de la requérir. « L’objectivité ne serait pas due à l’impartialité personnelle du journaliste, mais au débat public que suppose la diffusion de son information. La communication au public de faits, mis au jour, établis et situés dans leur contexte par les méthodes propres du journalisme, serait à la fois leur passage obligé et, par le regard de tiers (acteurs, témoins, autres médias, lecteurs), leur lieu de validation comme informations objectives. »
Henri Maler, maître de conférence à l’Université Paris 8 et fondateur du site ACRIMED, observatoire critique des médias, a réaffirmé que tous les médias sont de partis-pris. « Ils le sont de part le choix des informations qu’ils choisissent de produire ou pas », précisait-il à l’occasion de la soirée de financement.
Un modèle participatif
Le Média souhaite travailler en étroite collaboration avec ses membres, les » socios « , actionnaires de la coopérative. Les orientations éditoriales seront discutées et validées par tous. Ainsi, avant d’entrer dans une phase de production, des programmes pilotes seront présentés aux » socios « et leur avis sera déterminant pour valider les projets.
Pour favoriser l’interaction avec son public, une plateforme d’hébergement de vidéos est en cours d’élaboration. Chaque » socio « , témoin d’un événement, pourra filmer et transmettre sa vidéo aux journalistes. Concernant le contenu ? Les thématiques sociétales, politiques, culturelles et sportives s’efforceront d’être au plus près des préoccupations de la société civile.
Quant au journalisme politique sur le modèle des médias traditionnels, aucune place privilégiée ne lui sera accordée : « on n’aura pas de journaliste politique, on va éviter la sur-spécialisation. On veut éviter les connivences. Nous traiterons de politique car tout est politique. Le tourisme, la science, l’éducation sont politiques », nous confie Aude Rossigneux.
Kathleen Franck, Fabienne Even et Aurore Esclauze (infographie)
Le Média, le choix d’une coopérative
Le 19 octobre 2017, une semaine après le lancement de la campagne, 717 000 euros ont été récoltés et 6 000 » socios » ont participé au financement du média. Les » socios » deviennent propriétaires du Média en achetant un » droit de propriété « , fixé à 5 euros, limité à 500 pour une valeur maximale de 2 500 euros. Ce droit de propriété est valable à vie et transmissible, mais ne peut pas être vendu. Les » socios » participent ensuite au financement du média selon leurs revenus, à partir de 5 euros par mois et bénéficient de services spécifiques.
Crédits vidéo : Jérémie Vaudaux, Fabienne Even, Le Média (extraits de la soirée de lancement du financement participatif)