Depuis son arrivée à l’Élysée, Emmanuel Macron a opté pour la stratégie de la « parole rare » vis-à-vis des médias. Dimanche 15 octobre, il s’exprimait pour la première fois en direct à la télévision. Un tournant dans sa stratégie de communication ? Décryptage d’une position bien tranchée qui comporte certaines limites.
« J’ai pris la décision de ne pas avoir une présidence bavarde. » Depuis le bureau d’angle de l’Élysée, qui jouxte l’officiel au premier étage du palais, Emmanuel Macron explique aux 9,5 millions de téléspectateurs devant TF1/LCI ce que tous les journalistes savaient déjà : pendant son mandat, sa parole sera rare. Le jeune président de la République (39 ans) effectuait dimanche sa première interview télévisée, face à trois journalistes – Anne-Claire Coudray, Gilles Bouleau, David Pujadas – qui l’avaient déjà vu opérer dans cette position alors qu’il était candidat.
« Je pense qu’il a réussi l’exercice, estime après coup Marie Chantrait, journaliste politique à LCI, en charge de l’Élysée. Il fallait qu’il prenne la parole, qu’il s’exprime sur plusieurs choses avec des contradicteurs face à lui. Il y avait urgence à le faire. »
Depuis son élection en mai, Emmanuel Macron a préféré les grands discours en tribunes et les entretiens avec la presse écrite plutôt que les questions-réponses avec des journalistes de télévision. Certes, son entretien de 22 pages accordé au Point, le 31 août, avait fait beaucoup parler et affolé les compteurs : près de 100 000 exemplaires avaient été vendus dès la première journée de parution, 164 000 au total.
Mais quoi de mieux que le 20 heures de TF1 pour toucher le plus grand nombre ? Avec un pic à 10,3 millions de téléspectateurs et 36,6% de parts d’audience, selon les chiffres de Mediamétrie, l’effet est réussi. Surprenant ? Pas tellement.
Depuis cinq mois, Emmanuel Macron a fait le choix d’une communication verrouillée, en multipliant les discours officiels sans questions – devant le Congrès à Versailles, au pied du Parthénon à Athènes, à la Sorbonne, etc. Plus saisissant encore, le chef de l’État avait « encore une fois rompu les codes » en zappant la traditionnelle interview du 14 juillet. C’est donc après 160 jours de mandat qu’il a développé sa pensée à la télévision, non sans la difficulté d’être synthétique pour répondre aux questions des journalistes. « Je trouve qu’il est une nouvelle fois tombé dans l’écueil des réponses trop denses, trop riches, trop longues », analyse Marie Chantrait.
« Il aime la démonstration, c’est son style, analysait le lendemain Anne-Claire Coudray sur le plateau de Quotidien. Ce qui est frappant dans sa pensée, c’est que c’est tout un système qu’il veut nous expliquer. C’est très difficile de lui demander d’expliquer ses réformes de façon isolée. » La tâche n’a donc pas été facile pour les journalistes qui ont essayé à plusieurs reprises d’interrompre le président, parfois en vain.
« Il n’aime pas ça, reprend Marie Chantrait. Ça explique aussi le pourquoi de ne faire une interview télévisée qu’après 160 jours de mandat. Il veut que sa démonstration, sa pédagogie soit claire et que son raisonnement ne soit pas coupé. » Un entretien d’une heure et quart qui ne devrait très certainement pas se répéter sous cette forme dans les prochaines semaines.
Les raisons de la colère
Le chef de l’État pense que ses prédécesseurs ont échoué dans leur relation avec les médias. « Il juge qu’une trop grande proximité avec eux, comme lors du mandat de François Hollande, risque de nuire non seulement à son image mais aussi à l’explication de sa politique », analyse Arnaud Benedetti, professeur d’histoire de la communication politique à l’université Paris Sorbonne.
« Macron a été traumatisé par le livre « Un président ne devrait pas dire ça » »
Selon Nicolas Prissette, journaliste et auteur de « Emmanuel Macron, le Président inattendu », le pensionnaire de l’Élysée tient la même ligne depuis qu’il est ministre de l’Économie. « Il a conservé une forme de distance avec les journalistes, mais je ne pense pas qu’il ne les aime pas ».
« Emmanuel Macron a été traumatisé par le livre de Gérard Davet et Fabrice Lhomme « Un président ne devrait pas dire ça« », confie Marie Chantrait. Il cherche donc à faire tout l’inverse de François Hollande. Il était aux premières loges en tant que ministre de l’Économie pour observer le fonctionnement des équipes de communication de Hollande, ce dernier avait l’habitude de multiplier les off et les rendez-vous informels.
« Il veut encadrer la parole de son équipe et des députés En Marche pour éviter de revivre l’épisode des frondeurs lors du quinquennat précédent », commente, quant à elle, Lucile Bréhaut, journaliste politique à Radio Classique. Avec une majorité renouvelée, plusieurs députés débutants en politique ont été élus. N’étant pas habitués à parler aux médias, la communication a été verrouillée afin d’éviter fuites ou dérapages.
« Notre métier n’est pas un métier de relais pur et dur » Olivier Bost
« Le chef de l’État voit les médias comme de la communication d’entreprise, explique Olivier Bost. C’est-à-dire : je produis un message, il est relayé, diffusé et point barre. Au-delà du commentaire, notre métier n’est pas un métier de relais pur et dur, sinon ça s’appelle de la communication ou de la pub, mais plus du journalisme. » D’ailleurs, il a tendance à contourner la presse grâce aux outils numériques.
Pour Emmanuel Macron, les journalistes poseraient des questions qui n’intéressent pas les Français. De plus, ils seraient trop dans l’analyse du commentaire et de la petite phrase. « C’est une conception très réductrice du journalisme », réagit Olivier Bost, journaliste politique à RTL. « Lors de ses déplacements, il nous donne souvent des cours de journalisme. »
Le président a institué le principe qu’il ne répondait pas aux questions improvisées lors de ses déplacements. Il donne rarement des conférences de presse, principalement quand il est l’étranger, où il refuse catégoriquement de répondre aux questions franco-françaises.
Comment resserre-t-il sa communication ?
- Le système de pools
Les images de meute de journalistes, serrés comme des sardines autour d’une personnalité et incapables de se discipliner, collent à la peau de la profession. Pour Emmanuel Macron, hors de question de ne pas contrôler ces hordes de micros et de caméras. Pour ce faire, l’équipe de communication de l’Élysée s’appuie sur le système de pool.
Les médias qui composent ces équipes sont choisis au préalable par l’Élysée, et effectuent une rotation entre eux. Le système de pool existait déjà sous les autres présidences et était surtout utilisé pour des raisons d’organisation. Il est impossible de faire rentrer des dizaines de journalistes dans un environnement confiné comme lors d’une visite d’usine. Avec l’arrivée d’Emmanuel Macron à la présidence, les pools se sont multipliés et les équipes choisies se sont resserrées.
Les photographes de quotidiens sont très rarement invités dans ces pools, ce qui pose le problème de la multiplicités des sources. « Pour les agences classiques, et surtout les quotidiens nationaux, les photographes ne font pas partie des pools, on n’est pas invités », réagit Jean-Claude Coutausse, photojournaliste au service politique du journal Le Monde.
« Le journal Le Monde tient à avoir ses propres photos et ne souhaite pas récupérer celles de l’Agence France Presse (AFP) qui va faire des images dont le but est d’apparaître un peu partout, autant en Argentine que dans la presse régionale ou nationale. Les photographes de quotidiens ont eux un œil un peu plus particulier. On essaye de raconter l’histoire politique du jour. C’est pour ça que tout le monde doit pouvoir participer aux pools. »
- Le contrôle de son image
Emmanuel Macron est toujours accompagné de Soazig de la Moissonnière, sa photographe personnelle, lors de ses déplacements. Ses clichés se retrouvent sur le compte Instagram du président qui cumule plus de 600 000 followers. Décryptage de ces photos avec Marc de Tienda, photographe professionnel :
- Une équipe de communicants rodée
Lors de chaque déplacement du président de la République, trois communicants le suivent avec un iPhone pour le filmer en permanence. Les images sont diffusées en direct sur le profil Facebook du président, qui compte plus de 1 930 000 followers. Au total, 57 lives de ses discours, ses conférences, ses déplacements ont été filmés depuis le début de sa campagne. Des vidéos qui, pour la plupart, dépassent les 100 000 vues, voire 668 000 vues pour son déplacement à l’usine Whirlpool. Le but ? Contourner les médias traditionnels afin de s’adresser directement aux Français.
Le 28 septembre 2017, Emmanuel Macron se rend à Lyon sur les bords du Rhône avec Gérard Collomb, à la rencontre des patrouilles de la Direction Départementale de la Sécurité Publique (DDSP), de la BAC, de la brigade fluviale, de la police municipale de Lyon et de Sentinelle. Comme de nombreux déplacements, tout est filmé par son équipe de communication et diffusé en direct sur sa page Facebook.
Pour Lucile Bréhaut, journaliste politique à Radio Classique, ce système pose un problème de pluralité des sources. « Ces nouvelles méthodes nous court-circuit totalement. Nous sommes obligés de nous connectés sur les sites et pages Facebook de l’Élysée pour suivre l’actualité de Macron. »
« Ce sont des communicants qui appuient sur On/Off quand ils veulent », raconte Olivier Bost. « Ils montrent donc ce qu’ils veulent montrer et avec un angle orienté pour transmettre une bonne image du président. »
Sur ces vidéos, il n’est donc pas rare de voir un président tout sourire en train de prendre des bains de foules, faire des selfies, discuter avec des Français, prendre un repas avec des militaires ou s’entretenir avec des stars comme Rihanna ou Bono.
Les médias télévisés d’information en continu reprennent ces images pour les diffusés dans leurs JT. Comme l’a soulevé Mathieu Coache, reporter chargé de l’Élysée à BFM TV, au micro de Quotidien, mardi 17 octobre, une réflexion a lieu sur l’utilisation de ces images « C’est un débat qu’on a au sein de la rédaction. C’est une nouvelle fonction de communiqué de l’Élysée […]. On se dit qu’on arrêtera peut être de diffuser ces images si l’accès au président devient trop difficile ».
Nous avons tenté de joindre Sibeth Ndiaye, la conseillère en charge des relations presse d’Emmanuel Macron, qui gère une partie de sa communication afin de nous expliquer la stratégie en place. La jeune femme assiste à tous les entretiens du président enregistrant sur son portable les échanges. L’Obs, dans un article publié le 2 août 2017, l’a décrite comme « un des personnages clefs du premier cercle qui entoure et conseille le candidat ».
Dans un article du Parisien, elle réfutait l’idée selon laquelle la communication du président est verrouillée, préférant parler de communication plus « verticale ». Impossible d’obtenir des réponses à nos questions. Cette dernière n’a pas voulu donner suite à nos sollicitations.
Communication verrouillée, quelles limites ?
Depuis son arrivée à la tête de l’État, Emmanuel Macron essaie de diversifier les canaux par lesquels il communique. S’il n’utilise pas les réseaux sociaux (Twitter, Facebook, Instagram) de manière exclusive, il est celui des trois présidents (Sarkozy, Hollande, Macron) de l’ère du tout-numérique qui utilise le plus ce moyen de communication. Une pratique autour de laquelle s’anime le débat dans les rédactions des chaînes d’information.
Pour Arnaud Benedetti, professeur associé en histoire de la communication politique à l’université Paris Sorbonne, Emmanuel Macron est doublement gagnant avec ce procédé. « Par ce biais, vous avez un lien direct avec les Français. Vous transgressez la presse traditionnelle et vous savez très bien, comme votre parole est rare, que de toute façon les médias vont être obligés de reprendre tout ou partie des petites cartes postales que vous partagez sur les réseaux sociaux, et d’en faire écho. »
Cette stratégie, qui suscite des interrogations chez les observateurs, s’avère-t-elle alors dangereuse ? « Si c’était exclusif, ça serait un danger, poursuit-il. Mais même si ça ne l’est pas totalement, les réseaux sociaux comportent un risque : celui d’une image qui peut être détournée, réinterprétée, décodée par tout un chacun. Ils ne constituent pas l’outil optimal du contrôle de la communication, loin s’en faut. »
À leur propos, le spécialiste est formel : « C’est une illusion de penser qu’utiliser les réseaux sociaux permet le contrôle de la communication parce que celle-ci finit toujours par vous échapper. L’idée que l’on puisse maîtriser de manière millimétrée la communication se heurte à la réalité des faits et à la réalité du fonctionnement des processus sociaux. »
Arnaud Benedetti considère d’ailleurs que le président de la République, bien qu’épaulé par ses conseillers, a déjà perdu le contrôle de sa communication. À titre d’exemple, son déplacement en Guadeloupe après l’ouragan Irma, le 12 septembre dernier. « Il s’y rend parce qu’il a, à un moment donné, une pression politico-médiatique qui s’exerce. »
Ou encore, la petite phrase lâchée en réaction à une remarque d’Alain Rousset, le président de la Nouvelle-Aquitaine – « Il y en a certains, au lieu de foutre le bordel, ils feraient mieux d’aller regarder là où ils pourraient avoir des postes » –, lors d’une visite de l’École d’application aux métiers des travaux publics, à Egletons, le 4 octobre.
Loin de ses déclarations au vocabulaire particulièrement soigné, cet élément de langage familier avait éclipsé le déplacement du chef de l’État en Corrèze et fait polémique, à tel point qu’il fut le premier sujet abordé par les journalistes lors de l’interview télévisée du 15 octobre. Ce jour-là, Olivier Bost faisait partie du pool. « Entre les deux registres de langage, l’un gâchant l’autre, Emmanuel Macron a choisi de ne pas choisir. Quand il est dans l’expression directe, il dit vraiment ce qu’il pense, c’est sa nature profonde. »
Si Emmanuel Macron « a parfaitement raison d’essayer de faire le maximum pour maîtriser sa communication, selon Arnaud Benedetti, il est extrêmement difficile de lutter contre les phénomènes médiatiques ».
Le déverrouillage est-il envisageable ?
Si les premiers mois ont été véritablement cadenassés par le président de la République envers les médias, cette situation en début de quinquennat est valable pour tous les présidents. Sans oublier que les rapports d’un président avec la presse sont fluctuants durant un mandat. « Il y a eu des moments où Nicolas Sarkozy ne voulait plus du tout nous parler », se souvient Olivier Bost qui, concernant Macron, se demande si les fils seront un jour renoués avec la presse. Je ne pense pas que ça restera sur le modèle actuel pendant tout le quinquennat. Ça va forcément évoluer. Mais il est possible que ça se resserre encore plus. Ce n’est pas simple, mais c’est en revanche passionnant ».
Une relation particulière avec les journalistes que Nicolas Prissette considère intéressante. « Elle nous oblige à nous remettre en cause, on essaye de réfléchir à de nouvelles méthodes pour obtenir des infos. Il est fondamental dans ce métier de se remettre en cause ». Pas sûr de son côté, qu’Emmanuel Macron ne revoit sa stratégie. Il devrait à priori continuer de faire passer certains messages par le truchement des journalistes avec parcimonie.