Affaire Fillon, surprise Macron, retrait d’Hollande, la campagne 2017 a été une source inépuisable pour les journalistes politiques. À l’image des tweets, du direct et de l’instantanéité de l’information : certains livres politiques s’ancrent désormais dans le temps court et l’immédiateté. Enquête sur les quickbooks.

Raconter tout ce qu’on ne peut pas dire dans son journal ?

Le 8 mai, au lendemain des résultats du second tour, des dizaines de livres prennent d’assaut le rayon politique des librairies. « Mon livre, c’est un an d’enquête et trois mois d’écriture », affirme Laurent Neumann, journaliste politique à RMC et BFM TV et auteur de Les coulisses de la campagne 2017. « J’ai voulu raconter cette campagne comme un roman, mais, à la différence du romancier, je ne connaissais pas la fin et je ne suis jamais revenu sur ce que j’avais écrit au début. » Une écriture en direct, sans en connaître la chute, qui reflète, selon l’éditorialiste, le travail des journalistes politiques : « Au lieu d’écrire une chronique politique d’un feuillet, on passe à 350 pages.» Si le livre politique est censé incarner le format long, le recul et l’analyse, ces publications éclairs ont brouillé les genres. Elles sont aux antipodes du livre-entretien fleuve de Gérard Davet et Fabrice Lhomme. « Je n’ai pas la possibilité de donner toutes mes anecdotes à l’antenne, j’ai pu les condenser dans ce livre », explique Laurent Neumann.

À voir aussi : Gérard Davet et Fabrice Lhomme, C L’hebdo 

Nicolas Prissette, ancien journaliste au Journal du dimanche, actuellement à LCI, et auteur de Le président inattendu, justifie lui aussi la publication de son ouvrage par un souci d’exhaustivité : « Sortir un livre sur la campagne, c’est la possibilité de raconter tout ce qu’on ne peut pas dire dans un hebdo. » Pouvoir enfin tout raconter.

Rédiger au jour le jour

Novembre 2016, Matthieu Goar et Alexandre Lemarié, journalistes au Monde, sont contactés par les éditions l’Archipel pour écrire un livre sur les dessous de la victoire de François Fillon. Tout le monde est persuadé que le candidat de la droite sera sacré président. « Nous n’étions pas très motivés au départ car déjà débordés par la primaire », explique Matthieu Goar. « On a dit oui, avec pas mal d’appréhension. » Et ils ont eu raison. Le 25 janvier, Le Canard Enchaîné jette un pavé dans la mare. Pris de court par le Pénélope gate, le titre de leur livre passe des coulisses d’une victoire aux Coulisses d’une défaite. «  On devait écrire sur un gagnant et on se retrouve à écrire sur un perdant. Le but c’était de rédiger dans l’action totale», raconte le journaliste politique.

Les scandales ont bouleversé le rythme d’écriture des journalistes politiques qui avaient prévu de publier leurs livres à l’issue du second tour. Rien ne s’est passé comme prévu.

En décembre, le dessinateur James ébranle lui aussi ses méthodes de travail pour que l’album Le Journal du off réalisé avec les journalistes Renaud Saint-Cricq et Frédéric Gerschel voit le jour à temps. « La bande dessinée nécessite un processus plus long que les livres. Il y a davantage d’intervenants et l’impression a plus de contraintes. On a dû imprimer les pages au fur et à mesure. » Même course pour la couverture de l’ouvrage. Contrairement aux livres, celles des bandes dessinées sont élaborées longtemps à l’avance : « Là, il était impossible d’anticiper le résultat du premier tour, qui était une information fondamentale pour pouvoir anticiper la victoire finale et proposer une couverture», affirme le dessinateur. Elle est dessinée quinze jours avant le bouclage, le lendemain de la victoire d’Emmanuel Macron.

À lire sur Culturebox : Pourquoi Macron n’est pas un personnage de BD?

Quickbook : un terme polémique

Les journalistes politiques ne sont pas tous d’accord quant à l’appellation quickbook« Dans “quick”, il y a un jugement dépréciatif. C’est l’idée que c’est écrit vite et donc mal », affirme Laurent Neumann. Dans Les coulisses de la campagne 2017, l’auteur veut faire de l’élection présidentielle un récit romanesque où tout est vrai. « Je trouvais que c’était intéressant de conserver la matière brute de ce qu’il s’était passé. Ce n’est pas un livre sur la victoire éclair de Macron. C’est un livre sur une campagne hors norme. » Le but de l’éditorialiste : que les fans de politique puissent dévorer son livre à sa sortie, mais que d’autres lecteurs puissent aussi prendre le temps de se replonger dans cette campagne quelques temps après les résultats.

Pour Nicolas Prissette, la deuxième partie de son ouvrage, Le président inattendu, correspond bel et bien à un quickbook. Publié le 11 mai, soit quatre jours après les résultats, le livre fait suite à un premier opus  Emmanuel Macron, En marche vers l’Elysée, sorti en novembre 2016. «  Le côté quickbook faisait partie de la stratégie marketing de mon second livre. C’est un récit de campagne », affirme l’ancien journaliste du JDD. « L’intérêt du quickbook, c’est de raconter ce qu’on a vu. Et la présidentielle, c’est de l’actu en continu. »

Même analyse pour Matthieu Goar et son ouvrage sur l’Affaire Fillon : «  Notre livre est évidemment un quickbook. On ne s’est pas lancé dans un essai littéraire. » L’auteur considère que le format quickbook des Coulisses d’une défaite est légitimé par la précipitation de l’Affaire Fillon : «  Selon moi, à partir du moment où l’affaire explose, on s’en fout complètement de son enfance dans la Sarthe. » Matthieu Goar voulait d’ailleurs supprimer la première partie autobiographique de l’ouvrage, mais sa maison d’édition s’y est opposée. «  Un quickbook, ça a son intérêt : sorti trois jours après les résultats, il permet de toucher la campagne présidentielle de l’intérieur, qui va un peu plus loin que ce qu’en a dit BFM TV. » Assumé pour certains, négatif pour d’autres, le terme quickbook ne fait pas l’unanimité chez les journalistes politiques devenus auteurs. Mais au-delà de la durée d’écriture, le mot fait écho à une durée de vie éclair. «  Un exercice très concurrentiel »

Parmi le florilège de quickbooks sortis après le second tour : quel ouvrage choisir pour revivre la campagne la plus rocambolesque de la Ve République ? «  Il y a une curiosité pour l’envers du décor et des coulisses du monde politique, mais, à force de surenchérir, le marché des livres politiques s’encombre et ça finit par produire un effet de banalisation », souligne Christian Le Bart, professeur à Sciences Po Rennes. La concurrence est telle que, pour se distinguer et se vendre, l’ouvrage doit apporter une plus-value qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. Chaque auteur essaye de fournir un style et un ton différents : certains rapportent des anecdotes inédites et des moments de « off », d’autres livrent leurs analyses ou tentent de créer un récit original et étoffé.

«  Il y a ce que nous, les journalistes politiques, on sait de la campagne. De ma position d’éditorialiste, je vois des choses, tandis que les journalistes sur place, aux meetings, en voient d’autres », confie Laurent Neumann, qui a fait le choix de présenter son compte rendu de la présidentielle, de « raconter en comprenant ce qu’il se passe. »

Plus facile à dire qu’à faire. «  C’est difficile aujourd’hui d’avoir des informations nouvelles et de la valeur ajoutée », selon Nicolas Prissette. « Le quickbook est devenu un exercice très concurrentiel. C’est compliqué d’avoir des détails d’insiders, notamment à cause des réseaux sociaux. » Mais la patte du journaliste ne suffit pas, il faut aussi miser sur le bon cheval si on veut espérer gagner son pari. « Je pense que la campagne de François Fillon était la plus intéressante de cette élection présidentielle, la plus passionnante en termes journalistiques. Le problème de ces livres, c’est qu’ils n’ont de succès, d’intérêt, que si la personne gagne, si elle perd, c’est un peu un livre qui passe aux oubliettes, ce qui est tout à fait logique », reconnaît Matthieu Goar à propos de son ouvrage. « Fillon c’est la chronique d’un crash, du coup l’objet perd de son intérêt en lui-même parce que c’est surtout fait pour être un livre sur le futur président de la République. » Le livre des deux journalistes du Monde s’est vendu à 2000 exemplaires « au grand maximum », avant qu’il ne s’étouffe complètement. À l’inverse, celui de a connu plus de succès et continue à se vendre : son nom assure-t-il la réussite ?

Se faire un nom

« Quand on est journaliste politique, on signe en bas de son article, mais ce qui compte, c’est le média pour lequel on travaille », affirme Christian Le Bart. Selon le sociologue, ces journalistes prennent la plume de l’écrivain dans une démarche d’individualisation. « En écrivant son livre, le journaliste de presse s’émancipe de l’entreprise pour laquelle il travaille d’habitude. Il se fait un nom. » L’exemple de Raphaëlle Bacqué et de ses nombreux ouvrages sur les hommes politiques français, en est l’exemple le plus représentatif selon l’universitaire. « On ne pense plus à Raphaëlle Bacqué comme journaliste au Monde, mais comme une écrivain de livres politiques. » Mais d’après les auteurs de quickbooks interrogés, lors de la campagne, leur travail de journaliste politique restait la priorité pendant la rédaction de leurs ouvrages. Il s’agissait pour eux de jongler entre l’écriture de leur livre et leurs chroniques quotidiennes dans leur média d’appartenance. « Je n’ai jamais conservé pour moi d’infos fondamentales qui aurait pu justifier d’un défaut de loyauté vis à vis du JDD », affirme le journaliste Nicolas Prissette. Pour Matthieu Goar et son enquête sur l’Affaire Fillon : même combat.

«  Un exercice très concurrentiel »

Les quickbooks sont-ils vraiment « vite écrits, vite achetés, vite lus et vite jetés », comme l’explique Christian Le Bart, sociologue des médias ?

Selon Nicolas Prissette, publier un ouvrage c’est aussi légitimer son travail journalistique. « Une enquête publiée en livre donne une plus-value professionnelle qui fait qu’on maîtrise l’ensemble des interlocuteurs, qu’on étoffe son carnet d’adresse. On devient un interlocuteur de référence dans le domaine que l’on a traité », affirme-t-il. Mais l’éditorialiste politique peut aussi utiliser son nom, déjà connu, pour faire vendre. L’exemple de l’ouvrage de Laurent Neumann, Les coulisses de la campagne 2017, en est un bon exemple. Un quickbook, mais qui continue à se vendre six mois après l’élection comme le montre son classement de vente sur Amazon. Finalement, ce changement de genre, de l’article vers le livre, correspond à un éclatement du rôle des journalistes politiques. Autrefois rattachés à leurs médias d’origine, ils sont désormais individualisés par leurs passages à la télévision, leur compte Twitter, ou leurs interventions à la radio. La publication d’un livre prolonge cette volonté d’exister en dehors de son média et de devenir un journaliste omniprésent.

Cinq semaines en première position des ventes. 175 000 exemplaires vendus en trois mois. Personne n’a échappé au triomphe d’Un président ne devrait pas dire ça  des journalistes du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme. En donnant au public scoops, coulisses et scandales concernant le dernier président de la République, ce best seller est encore en tête de gondole des supermarchés, des librairies ou des kiosques de gare. Cinq années de travail et d’entretiens pour un succès qui dure. Pourtant, il n’en est pas de même pour tous les livres politiques. Bien au contraire.

Dans une concurrence démentielle, les quickbooks peinent à survivre sur les étalages des librairies. Finalement, pour les journalistes politiques, écrire un quickbook plus qu’un éclair de génie, c’est avoir une notoriété éclair.

Texte et infographie : Constance Vilanova

Vidéo : Ulysse Cailloux.