Ils prétendent « Réinformer » les citoyens. Ils ? Les médias de la très droitière « réinfosphère », en premier lieu TV Libertés. Lancée en 2014, TV Libertés se veut un média politique à part entière au parti pris assumé. Portrait de l’auto-proclamée « première chaîne de réinformation ».

JT, chroniques, émissions. TV Libertés se veut la réplique exacte d’une chaîne de télévision classique.

« En ce mardi gras, nous avons décidé d’inviter un homme mystère qui a choisi de venir masqué », lance Martial Bild en costume de présentateur. Jingle, plateau, lumières, présentateur et présentatrice, tout y est. Une nouvelle chaîne de télévision ? Pas tout à fait. Nous sommes le 9 février 2015 sur TV Libertés, l’auto-proclamée « première chaîne de réinformation ». L’invité mystère, lui, est facilement reconnaissable à sa voix rauque : Jean-Marie Le Pen.

La séquence va faire le tour des médias dans les jours qui suivent. Sur la seule chaine Youtube de TV Libertés, elle cumule aujourd’hui plus de 128 000 vues. De quoi mettre en lumière ce média alternatif aux 30 millions de vues sur Youtube. Car si elle a tout d’une chaîne de télévision classique, TV Libertés, lancée en 2014 par plusieurs proches du Front National pourrait bien être un modèle de « réinformation ».

Généreuse économie du don 

Chaque jour, près de  30 000 personnes visiteraient le site de la web-télé fonctionnant avec près de 100 000 euros annuels à en croire son Président Philippe Milliau. Ce choix de copier-coller des chaînes de télévision classiques n’est pas anodin à en croire Jean-Yves Le Gallou, l’un des co-fondateurs : « TV Libertés fonctionne exclusivement par dons, c’est de l’économie, de la générosité et ça a joué sur le modèle proposé, explique-t-il. Il y avait un souhait assez ancré dans l’opinion qui ne partage pas la pensée dominante de disposer d’un média pensé, réfléchi comme un média classique ».

Comme toute chaîne de télévision classique, TV Libertés a son JT quotidien.

Une générosité qui pourrait avoir quelques accents russes comme l’évoquent les deux journalistes David Doucet (rédacteur en chef des Inrockuptibles) et Dominique Albertini (journaliste au service politique de Libération) dans leur enquête « La Fachosphère » publiée en septembre 2016. L’un des animateurs leur a ainsi confié : « on se doute bien que les nouveaux moyens ne viennent pas du ciel ». De nouveaux moyens qui ont, entre autres, permis à la petite télé de changer ses studios et se doter d’une web radio depuis 2016. Ce budget leur offre la possibilité d’« employer une vingtaine de personnes équivalent à temps plein » selon le président Philippe Millau, cité par les deux journalistes. De quoi relever les grandes ambitions de la « première chaîne de réinformation » qui assume une certaine partialité de l’information et un regard tourné vers la jeunesse.

« On ne prétend pas à la neutralité »

Derrière le slogan, TV Libertés se veut un média alternatif, d’influence qui joue la carte de la partialité. « Je pense que ceux qui prétendent à la neutralité mentent. Le fait est toujours traité sous un angle particulier donc traiter un fait en parlant de neutralité, c’est tout à fait faux, assène Jean-Yves Le Gallou, le « père » de la « réinformation ». On ne prétend pas à la neutralité, on prétend à l’objectivité, c’est dire des choses exactes, respecter les faits. Nous traitons les choses sous un certain angle avec, effectivement, certaines préférences idéologiques politiques », détaille celui qui, par ailleurs, est l’animateur de I-Médias, l’une des émissions phares de TV Libertés. « Je ne prétends pas que les médias alternatifs détiennent la vérité, je pense qu’ils apportent un élément complémentaire, voire contradictoire au débat et aux opinions exprimées par ailleurs », explique ce lecteur quotidien du Monde.

Jean-Yves Le Gallou, l’un des pères de la « Réinformation » est aussi l’animateur de I-Médias, émission de décryptage médiatique.

 

Un parti pris assumé, qui laisse la part belle à l’identité, la sécurité et l’immigration au cœur de la ligne éditoriale. Des « questions régaliennes, qui intéressent les français dans leur quotidien mais qui ne sont pas toujours traitées ou mises en avant sur les autres médias », comme le confie Alexandre, militant au Front National Jeunesse de Gironde. Rien de surprenant puisque le directeur de la rédaction n’est autre que Martial Bild. Ancien président du Front National Jeunesse puis cadre au sein du Front National, il est également à l’origine de front-nat.com en 1996. Une date marquante pour le parti frontiste, puisqu’elle en fait un parti « moderne », le premier à s’être lancé sur internet.

La « réinformation » inter-générationnelle 

Mais loin de se vouloir un refuge des anciens cadres frontistes, la web-télé se pare des atouts de la jeunesse. Objectif : diversifier son public et mobiliser toutes les générations. « Bien sûr qu’il y a l’idée de transmission, et puis les jeunes sont au cœur des médias sur internet », explique Jean-Yves Le Gallou. Car la jeunesse s’informe de plus en plus par internet. 66 % des jeunes militants frontistes faisaient confiance à internet pour s’informer en 2016, selon l’étude de Jérôme Fourquet. Il faut dire que les jeunes représentent une cible de choix pour l’extrême droite et ses idées. À long terme, il s’agit de faire infuser très tôt les idées et thèses de la droite et de l’extrême droite dans l’esprit des jeunes votants, futurs électeurs, ceux qui demain remplaceront les baby boomeurs dans les urnes. Pour l’historien Nicolas Lebourg, « c’est un peu comme le Coca Cola et le Pepsi, selon ton choix à 18 ans tu vas te fidéliser à une marque ou une autre. »

Elise Blaise, venue d’Equidia, elle est la caution jeune et féminine de la chaîne.

Ce n’est sans doute pas un hasard si les deux présentateurs vedettes de la chaîne, Elise Blaise et Olivier Frères Jacques, ont à peine la trentaine. Au sein de la web radio lancée en 2016, sans surprise c’est la jeune génération qui est à la manœuvre avec Arnaud Menu, le responsable, Floriane Jeannin et Thibaud Bastide. « Sur TV Libertés il y a des débats avec différents points de vue, c’est jeune, moderne, dans des cadres sympas comme Bistrot Liberté », détaille le militant girondin, qui qualifie volontiers Radio Courtoisie d’un peu dépassée et réactionnaire.

Un parti pris de la jeunesse assumé par le co-fondateur. « Toute la difficulté de l’exercice est qu’il faut toucher un public assez jeune mais que l’économie repose sur des donateurs appartenant aux catégories plus âgées »Le média se décline aujourd’hui sous toutes ses formes : vidéos longues sur Youtube, pastilles plus brèves sur les réseaux sociaux, le nouvel angle d’attaque. « Les modes de consommation ne sont pas toujours les mêmes. Il y a actuellement un gros développement sur Facebook et Twitter, précise Jean-Yves Le Gallou. L’arrivée des réseaux sociaux, c’est quelque chose qui n’a pas encore toute sa puissance ». Si plus de 100 000 personnes se sont abonnées à la page Facebook de TV Libertés, elles ne sont qu’une centaine à suivre le média sur Twitter. Le site enregistre 20 à 30 000 visiteurs quotidiens. Mais dans leur enquête, David Doucet et Dominique Albertini évoquent « un bilan qui n’est peut être pas tout à fait à la hauteur des moyens », des « scores encore modestes ». La faute au modèle internet : « quand vous allez visionner une vidéo sur TV Libertés, c’est que vous êtes déjà convaincu », résume ainsi Marion Maréchal-Le Pen aux deux journalistes.

TV Libertés ou « l’information telle qu’on la rêve à l’extrême droite » pour reprendre les mots de Dominique Albertini et David Doucet, est encore loin des millions de vues d’Égalité & Réconciliation ou de Fdesouche. Elle affiche pourtant clairement ses ambitions, un journalisme non pas sur la politique mais au service de celle-ci. Le combat culturel avant même le combat politique.

Delphine Marion Boulle