L’Humanité, National-Hebdo et Le Matin de Paris sont trois exemples historiques de médias liés à des mouvements politiques. Si la nouvelle web tv de Jean-Luc Mélenchon paraît innovante dans sa forme, elle s’est toutefois largement inspirée d’organes de presse créés au cours du XXe siècle.
C’est officiel. Le 11 octobre 2017, la France Insoumise a lancé sa propre web tv, nommée Le Média, et relance la mode des organes de presse qui soutiennent ouvertement leur champion politique. Même le président de la République souhaiterait, via son mouvement En Marche !, créer son propre support médiatique. Plus que des organes de communication, ces médias se revendiquent indépendants mais ont encore du mal à convaincre le public de leur neutralité quant au traitement de l’actualité.
Si le contexte historique du siècle dernier était plus favorable au tirage papier et à la création de journaux éphémères, l’apparition d’internet a modifié le paysage médiatique. Les partis politiques ont su exploiter cette transformation pour relayer leurs messages, abandonnant la presse écrite et leurs journaux politiques au profit de Twitter et Youtube.
Mais alors, est-ce là une première expérience de médias affiliés à des partis politiques ? Si la tendance est plus aux fermetures de rédactions ou au rachat de groupes de presse par des magnats de l’industrie, le XXe siècle a donné naissance à de nombreux titres de presse. Certains journaux partisans ont été montés de toutes pièces par des partis politiques, traitant à leur sauce l’actualité économique, sociétale et internationale. Certains, comme L’Humanité, ne se cachait pas d’être une ambassade communiste pour relayer l’information, n’hésitant pas à indiquer sur leur Une : “L’Humanité, organe central du Parti communiste français (PCF)”.
Jean-Jacques Cheval, spécialiste des médias, évoque ce lien entre la presse et les partis politiques, qui est loin d’être une nouveauté.
Trois médias représentatifs de cette relation entre la presse et les partis politiques ont retenu notre attention. L’Humanité a plus de cent ans et sa ligne éditoriale a longtemps suivie celle du PCF. Le Matin de Paris, quotidien lancé en 1977, a signé sa propre mort à mesure qu’il s’approchait du Parti socialiste, alors au pouvoir. Enfin, National-Hebdo a longtemps relayé l’actualité en partageant les idéaux d’extrême droite, jusqu’à intégrer leurs rédactions dans les locaux du Front National.
L’Humanité : du journal de parti au journal d’opinion
Le journal l’Humanité est probablement le titre de presse le plus célèbre pour son lien avec un parti politique. Fondé en 1904 par Jean Jaurès, alors président du Parti socialiste français, le quotidien suit, en 1920, la majorité des délégués du Congrès de Tours qui votent l’adhésion à l’Internationale communiste. L’Humanité devient ainsi l’organe central du Parti communiste français et collera minutieusement à la ligne politique du parti jusqu’en 1994.
Au cours de cette période, l’Humanité est bel et bien un journal d’information, mais sa fonction est également de mobiliser les militants. Le titre avoisine alors les 350 000 exemplaires quotidiens. Mais petit à petit, la diffusion diminue, et dépasse péniblement les 100 000 lecteurs dans les années 1980.
Après 1994, l’identité du PCF est progressivement gommée. L’Humanité n’est plus “l’organe central du Parti communiste français” mais le “journal du PCF”. Puis, l’empreinte du parti est totalement supprimée en 1999 et le quotidien devient un simple “journal communiste”. Selon Alexandre Courban, auteur de L’Humanité, de Jean Jaurès à Marcel Cachin (1904-1939), ce processus permet de “montrer une transformation et de casser l’image d’un lien de subordination du parti politique sur une rédaction qui ne ferait que suivre des ordres”.
Aujourd’hui, c’est “le journal fondé par Jean Jaurès” qui figure comme sur-titre à la Une du quotidien. L’Humanité n’est plus un journal de parti, comme il le fût pendant plus de 70 ans, mais un journal d’opinion.
National-Hebdo : “Un moyen de contourner les médias traditionnels”
Moins de dix ans après sa création, le Front National peine encore à se démarquer lors des grands rendez-vous électoraux. Il faut attendre le scrutin des élections cantonales de 1982 pour voir la première percée de ce mouvement d’extrême droite. En parallèle de cette croissance, qui atteindra son apogée en 2002 lorsque Jean-Marie Le Pen se qualifie pour le second tour des présidentielles, plusieurs titres de presse soutiennent les idées de ce parti.
Rivarol, Minute, le quotidien Présent, Défense de l’occident, Pour une nouvelle force… Les titres de presse ne manquent pas et apportent ponctuellement leur soutien au Front National.
Le 11 mai 1984, l’hebdomadaire National-Hebdo est créé. Cette revue, dirigée par Jean-Claude Varanne, futur collaborateur de Marine Le Pen, est considéré comme le journal “officieux” du parti. Ses rédactions sont situées au siège du Front National, surnommé le “Paquebot”. Une proximité qui se reflète sur la ligne éditoriale du journal, qui prend même comme sous titre, “le journal de Jean-Marie Le Pen”. Le FN a toujours affirmé que cette revue n’était pas le journal officiel du parti.
Ses unes n’hésitent pas à faire l’éloge de leur leader politique ou à mettre en scène sa famille. Mais l’idéologie du Front National est présente à l’intérieur des rédactions : l’opposition à l’immigration est l’un des thèmes récurrents du journal.
National-Hebdo était aussi un moyen de contourner les médias traditionnels pour diffuser ses idées. Distribué en kiosques (autour de 10 000 exemplaires vendus), l’hebdomadaire permettait au FN d’affirmer sa ligne politique du moment, à travers les interviews récurrentes de ses cadres.
Après la déroute aux élections législatives de 2007 (le FN n’obtient aucun siège de député), le parti traverse une crise financière qui l’oblige à diminuer ses frais. Suppression de National-Hebdo, réduction de postes, ventes des locaux historiques… tout est mis en oeuvre pour éponger une dette de dix millions d’euros.
Malgré l’arrêt de la revue, plusieurs journalistes de National-Hebdo se réorientent vers d’autres revues proches de l’idéologie lepéniste, comme le journal Flash. National-Hebdo se mue en site web qui continue de publier quelques billets liés à l’actualité.
Le Matin de Paris : un rapprochement avec le PS fatal au journal
Le 1er mars 1977, Le Matin de Paris sort son premier numéro. Des journalistes venus de tous les horizons (Le Figaro, France soir, L’Express, Le Nouvel Observateur, le Quotidien de Paris…) sont à pied d’oeuvre depuis des mois pour lancer ce journal que Claude Perdriel voulait tant. L’homme d’affaires, fondateur du Nouvel Observateur avec Jean Daniel, « n’est pas pleinement libre de ses choix » au sein de cet hebdomadaire, selon Jean Bothorel, éditorialiste du Matin de Paris dès les débuts. Claude Perdriel lance alors son quotidien, dans lequel il sera le seul décideur.
Dès le départ, sa ligne éditoriale est d’ailleurs sans équivoque. Le Matin de Paris sera un soutien à la gauche rocardienne, et cela se retrouve clairement dans les éditos de Jean Bothorel.
À l’approche de l’élection présidentielle de 1981, Michel Rocard retire finalement sa candidature. Une décision qui pousse Le Matin de Paris à se rapprocher du seul candidat socialiste encore en lice : François Mitterrand. Claude Perdriel, qui a longtemps cru en Michel Rocard, se doit alors de soutenir le futur président de la République.
Mais le bouleversement dans la ligne éditoriale du quotidien se produit une fois l’élection de François Mitterrand actée. Le journal d’opposition qu’il était lorsque Valéry Giscard d’Estaing était encore président se retrouve dans la même ligne que le pouvoir, et peine alors à rebondir. Son tirage moyen, qui se situait autour des 110 000 exemplaires, chute brutalement.
Après cette vente de Claude Perdriel, les liens avec le Parti Socialiste s’intensifient. Max Gallo, jusqu’alors porte-parole du gouvernement de Pierre Mauroy, devient directeur de la rédaction. Paul Quilès, député socialiste et ex-directeur de campagne de Mitterrand, lui succèdera. Le journal perd petit à petit sa crédibilité, et ne se diffuse plus qu’à environ 50 000 exemplaires. Le Matin de Paris déposera finalement le bilan en 1987, dix ans après sa fondation.