Charline Vanhoenacker, Guillaume Meurice, Yann Barthès… Les uns se revendiquent journalistes, les autres, avant tout humoristes. Mais tous – et la liste est loin d’être exhaustive – ont le point commun de placer l’actualité politique au cœur de leurs chroniques et de leurs émissions. Alors, journalistes qui font des blagues ou humoristes d’actualité ?
Fini Desproges, Coluche et compagnie… Désormais, les journalistes aussi (et surtout) s’emparent de l’humour dans les médias, pour donner l’information. Et la politique en prend pour son grade. Charline Vanhoenacker, experte dans le genre, avait même une place de choix à la fin de L’Emission Politique (France 2), avec son billet d’humour « Carte Blanche », tout au long de l’élection présidentielle. Et elle n’est pas la seule à arpenter la frontière sinueuse entre journalisme et humour.
La journaliste Nadia Daam, avec son « Coup de patte » dans la matinale d’Europe 1, s’attaque elle aussi avec humour à l’actualité du jour. À côté de cela, la chroniqueuse présente l’émission 28 minutes sur Arte, dans un registre perçu comme beaucoup plus sérieux. « Est-ce que ça brouille mon identité ? Je ne pense pas. On peut très bien donner de l’info et être drôle, explique-t-elle. Faut-il vraiment poser une frontière entre ces deux genres ? » Au contraire, pour Nadia Daam. « L’humour est une bonne manière d’attraper les gens », de les intéresser au sujet. Le fait d’être journaliste cadre la chronique, la place dans quelque chose de plus sérieux. Avant de faire des blagues, il faut maîtriser le sujet, faire des recherches : comme n’importe quel journaliste le ferait. « Quand Charline fait des billets sur l’actualité politique, elle ne se contente pas de faire des blagues, c’est un forme d’analyse », illustre-t-elle.
Mais alors justement, Charline Vanhoenacker, diplômée de l’Ecole Supérieure de Journalisme de Paris, est-elle toujours une journaliste ? Si l’animatrice de Par Jupiter ! se décrit sur Twitter comme une « journaliste qui fait des blagues », pour Guillaume Meurice, son camarade dans l’émission de France Inter, la réponse est non. « Elle est comme Alex (Vizorek) et moi. Elle essaye de nous faire croire que non, mais c’est une humoriste ». Pas si sûr. « Nous sommes différents. Elle est journaliste, elle a simplement rajouté des blagues dans ses chroniques » se contredit l’humoriste. Finalement, pour les professionnels eux-mêmes, la distinction ne semble pas si évidente.
Macron sur TF1 : il y avait du matos pour tourner la suite de Matrix et on a assisté aux voeux de VGE en 75 https://t.co/MTCwQv5s5i
— CharlineVanhoenacker (@Charlineaparis) 16 octobre 2017
Pour Marilyne Rudelle, sociologue et docteure à l’université de Bordeaux, le journaliste ne devient pas forcément humoriste quand il utilise l’humour. La chercheuse, auteure d’une thèse sur le sujet des « humoristes d’actualité en travailleurs de la critique » assure que l’on assiste à un véritable mélange des genres. Elle ajoute que c’est à la personne qui s’exprime de se définir, de décider de son registre. Guillaume Meurice, perçu comme un journaliste par beaucoup, y compris des journalistes eux-mêmes, répète à l’envi qu’il n’en est pas un. Mais pourquoi alors parle-t-il de « porter le micro dans la plaie » dans une interview publiée par Politis, en clin d’oeil à la fameuse formule d’Albert Londres ? « Tout simplement parce que le journaliste fait de l’investigation, recoupe les sources. Ce n’est pas du tout ce que je fais. Je n’ai pas de carte de presse et je ne veux pas d’abattement fiscal », ironise le chroniqueur de France Inter.
Alex Vizorek, co-animateur de l’émission Par Jupiter ! résume au micro de Quotidien la différence entre Charline Vanhoenacker, journaliste qui emploie l’humour, et lui-même, humoriste qui utilise l’actualité : « Elle, il est très important qu’elle soit pertinente. Si en plus elle est drôle, c’est tout gagné. Moi, j’ai été engagé pour être drôle, si en plus je suis pertinent c’est formidable. On n’attaque pas par le même versant de la falaise. »
Quant à « Charline Vanhoenacker et Sophia Aram, elles assument un ton journalistique » explique Marilyne Rudelle, tout comme Yann Barthès dans son émission Quotidien.
« Ils ont raison de continuer à s’appeler journalistes. Aucune charte journalistique, aucun précepte du journalisme n’interdit un ton humoristique. C’est une manière de faire. En revanche, quand on utilise ce ton, il faut être irréprochable journalistiquement. »
Le risque est bel et bien de s’éloigner de son registre de référence et de n’être plus qu’un comique. À propos de Charline Vanhoenacker, nos confrères des Inrocks écrivaient : « Elle est déjà consciente que s’enfermer trop longtemps dans la déconne lui ferait perdre aux yeux de la profession la crédibilité de journaliste. Peut-elle encore reprendre un virage sérieux ? ». Alors justement, jusqu’où peut-on aller dans ce registre ? Cela dépend, nous dit Marilyne Rudelle. L’humoriste dispose d’une liberté de ton, il peut aller aussi loin qu’il le souhaite tant que c’est drôle. Alors que le journaliste doit toujours apporter de l’information, du moins un complément. La sociologue précise : « avec l’humour il apporte plutôt un parallèle à l’information », en clair un angle différent.
Un retour en force largement plébiscité
Journalistes et humoristes donnent désormais l’impression d’avoir des rôles interchangeables, pourtant faire référence à l’actualité sur le ton de l’humour n’est pas nouveau. Encore moins quand on traite de l’actualité politique. Les années 1980-1990 ont été marquées par Coluche, Pierre Desproges ou encore Jean Amadou, auteur de chansons satiriques sur l’actualité dont le métier premier était celui de journaliste. Le genre perdure. Sur ce point, universitaires et professionnels des médias sont unanimes. Mais le style varie incontestablement et l’humour pour analyser et commenter l’actualité politique est devenu un subterfuge dont auditeurs et téléspectateurs sont de plus en plus friands.
Marilyne Rudelle estime que ce renouveau est avant tout lié à la densification des cases humoristiques dans les médias d’information audiovisuels. Un mélange des genres lié avant tout à la réception du public.
« Si une forme de journalisme, par le ton humoristique, marche, c’est parce que les chroniques matinales, les émissions sur le ton de l’humour fonctionnent en termes d’audience et de sûreté financière. Si ce n’est plus le cas dans dix ans, les journalistes devront se réadapter, se renouveler. »
L’humour décapant de Coluche qui avait pour habitude d’outrepasser les limites du politiquement correct et les portraits au vitriol de Stéphane Guillon, pour ne citer qu’eux, ont laissé place à des chroniques plus légères. Patrick Charaudeau souligne une nouvelle « façon ludique de présenter l’actualité avec des clins d’œil ironiques. » Un style plus léger qui incarne le renaissance du genre mêlant information et humour. Cette manière de traiter l’actualité s’impose à la télévision comme à la radio depuis quelques années, permettant une démocratisation de l’information politique. Selon Nadia Daam, « ce genre revient en force après la disparition de l’esprit Canal+. La grille de France Inter fait également que le format se démocratise, bien qu’il ait toujours existé. »
En mai 2016, après l’annonce du départ de Yann Barthès de Canal+, Politis s’interrogeait : « en cas de fermeture de Canal+, qu’est-ce qui manquerait, que regretterait-on ? » La réponse ne s’est pas faite attendre… Le succès non plus. Yann Barthès a réinventé Le Petit Journal sur un schéma plus long. Carton plein. Un an après la première émission, Quotidien est toujours en tête des audiences sur sa tranche horaire. L’émission reprend l’information sur un ton décalé qui se poursuit sur plus de 90 minutes. Bien qu’elle soit ponctuée de chroniques purement humoristiques, l’information politique est traitée plus largement par des journalistes qui se distinguent par leur humour avec toujours, comme noyau dur : l’information. Hugo Clément s’y illustre par exemple régulièrement en couvrant, non sans dérision, des événements politiques, tels que le dernier meeting de Laurent Wauquiez dans sa course à la présidence des Républicains, ou encore les résultats de l’élection présidentielle américaine aux côtés des journalistes Martin Weill et Valentine Oberti.
Laurent Wauquiez s’est-il donné du mal hier lors de son dernier meeting ? #CopiéCollé@hugoclement #Quotidien pic.twitter.com/jUVjnF8mOv
— Quotidien (@Qofficiel) 13 octobre 2017
Est-ce bien évident de comprendre cette confusion des genres ? Pour Patrick Charaudeau, il est évident qu’elle pose problème. « Le journalisme doit informer le citoyen en étant au plus près des événements factuels alors que l’humour apporte un regard décalé avec des idées toutes faites. Les deux contrats sont opposés, voire contradictoires ». Le journaliste, s’il veut faire rire, doit changer de métier selon le chercheur : devenir humoriste s’il ne veut pas discréditer la parole journalistique. « On ne triche pas avec le public, on lui donne ce qu’il attend. ». C’est le cas à la radio selon lui, où les deux genres s’enchaînent, mais ne se mêlent jamais l’un à l’autre. « L’important, c’est que le public sache où il se trouve, s’il s’apprête à regarder une chronique humoristique ou un reportage plus sérieux. » Une frontière de moins en moins nette à la télévision où l’on assiste, selon le chercheur, à une « hybridation des genres. »
Pourtant, l’infotainment (mêlant information et divertissement) ne date pas d’aujourd’hui. Seul l’anglicisme qui sert à le qualifier donne l’illusion qu’il s’agit d’un genre nouveau. Ces dernières années ont permis de voir émerger un format dans lequel l’humour n’est qu’un prétexte au service de l’information. La nouveauté se place alors bel et bien du côté des acteurs, qui arborent de plus en plus une double casquette.
Pour le public, l’information, même teintée d’humour, est plus crédible lorsque c’est le journaliste qui s’en empare. Dans tous les cas, la démocratisation de ce type de format va de pair avec celle de l’information politique. Marilyne Rudelle évoque même un lien de nécessité, un effet cathartique produit sur l’auditeur ou le téléspectateur. « L’humour est un exutoire. Ces chroniques et émissions sont un moment nécessaire dans la journée d’un auditeur ou d’un téléspectateur, et la conséquence est que cela mène à une culture de l’information populaire. » L’actualité politique est décortiquée, commentée avec humour et intéresse davantage en raison de ce changement de ton.
La politique-spectacle : du petit lait pour les humoristes
La situation politique évolue et emporte avec elle, la manière dont les médias doivent l’analyser, la commenter. La politique est devenue une politique-spectacle à laquelle les médias doivent s’adapter. Pour Guillaume Meurice, dans Par Jupiter !, « on a de la nouvelle matière pour se moquer ». Celui qui, en parallèle de ses chroniques, joue un one-man show, ajoute : « Dans mon spectacle, je joue le rôle d’un communiquant. Et ça, bien évidemment, ça n’existait pas avant. » Mais qui, du politique ou du journaliste entraîne l’évolution de l’autre ? Sur ce sujet, Marilyne Rudelle s’interroge, « est-ce que la politique ne s’est pas transformée en politique-spectacle du fait de ce traitement humoristique de l’actualité ? » Une chose est certaine pour la sociologue : la nouveauté réside dans la facilité pour les journalistes à faire de l’humour pour traiter de l’actualité politique. « Par leur comportement, les politiques leur pré-mâchent le travail. » Du pain béni pour les (re)nouveaux formats info/humour… Et un point de vue que partage Patrick Charaudeau : « plus vous avez une cible caricaturale à l’excès, plus c’est facile ». C’est donc bien cette nouvelle politique, mise en scène et drôle malgré elle, qui façonne le journalisme politique, incarné par ces nouveaux humoristes d’investigation. Rideau.