En 2015, quarante femmes journalistes politiques ont dénoncé les propos sexistes et des faits de harcèlement, dans une tribune publiée dans « Libération ». Deux ans plus tard, avec l’arrivée de nouvelles forces politiques, telles qu’En Marche et La France Insoumise, les rapports entre les politiques et les journalistes ont-ils été modifiés ?
Un hashtag a suffit à ouvrir les vannes. Et libérer la parole de milliers de femmes. Depuis le 15 octobre 2017, #balancetonporc afflue sur Twitter, laissant aller les témoignages de celles qui sont victimes de sexisme, de harcèlement sexuel et parfois d’agressions. Parmi ces femmes qui témoignent, nombre d’entre elles font partie du monde des médias. Et face à elles, des hommes qui semblent découvrir tout juste le problème. De grands hommes, aux grandes responsabilités, face à des femmes dans des petits couloirs. Certaines dénoncent aussi ces comportements interdits au sein même de l’élite politique. Dans tous les cas, ces révélations impliquent des hommes proches du pouvoir.
#balancetonporc !! toi aussi raconte en donnant le nom et les détails un harcèlent sexuel que tu as connu dans ton boulot. Je vous attends
— Sandra Muller (@LettreAudio) 13 octobre 2017
Lundi 16 octobre 2017, France Info. Jean-Michel Apathie a invité le ministre de l’économie Bruno Le Maire. Le dos droit, tiré à quatre épingles, rigide. Il est interrogé au sujet de #balancetonporc et du harcèlement dans le monde politique. Dénoncerait-t-il un homme politique s’il était mis au courant de faits de harcèlement ? « Non », répond t-il, avant d’enchaîner « La dénonciation n’a jamais fait et ne fera jamais partie de mon identité politique. »
Bruno Le Maire a beau affirmer par deux fois n’avoir jamais eu à sa connaissance de faits de harcèlements, sa réaction en dit long sur le climat qui règne au sein même de l’élite politique.
Femmes et journalistes politiques, elles dénonçaient déjà en mai 2015 les comportements déviants de certains élus et représentants, dans une tribune publiée dans « Libération ». Les mains baladeuses. Les textos incessants. Les regards insistants. Au moment de sa parution, elle est vécue comme une claque dans un monde brutal de surdiplômés. Le collectif Bas Les Pattes réunit pour la première fois quarante journalistes politiques femmes. Certaines choisissent d’être nommées, tandis que d’autres, plus précaires, plus vulnérables, préfèrent l’anonymat.
« À ce moment-là, ça fait dix ans que je suis journaliste politique, dix ans que je nous entends collectivement raconter des trucs. Dix ans que ça s’entasse dans la tête, que je me dis que c’est pas possible », raconte Laure Bretton, journaliste politique à « Libération » et à l’initiative de la tribune. « Du coup, je décide de revoir toutes les filles que j’ai entendu un jour parler de ça et on va faire un collectif. »
Dans ce texte, les hommes concernés ne sont pas nommés. Une stratégie moins ciblée, pour mieux viser. « On dénonce un climat, sinon on aurait cité un certain nombre d’hommes, alors que les torts sont une faute collective. » Laure Bretton l’affirme, depuis la prise de parole des journalistes, elle n’a plus été dérangée à l’Assemblée, au Sénat ou dans les meetings. Son acte vaut bouclier, et même mur.
« Au moment de la publication, très peu de personnes avaient remis en cause notre parole, parce qu’on était des journalistes, globalement de la presse parisienne. De fait, nous aussi dans une forme de position de pouvoir. Du coup on nous a écoutées », affirme Lenaïg Bredoux, journaliste à Mediapart et co-signataire de la tribune. La journaliste est également à l’origine de l’affaire de l’ancien député Denis Baupin, qui sera révélée un an plus tard. C’est la première fois qu’une accusation est faite contre un homme politique, à propos du harcèlement. « Le fait que les femmes journalistes s’expriment à ce sujet a créé de fait un rapport de force : désormais, elles dénoncent. »
Une ambiguïté entretenue par les hommes politiques
Dénoncer le problème, et remettre en cause les pratiques journalistiques des générations précédentes. Pour obtenir des informations de la part des hommes politiques, le temps n’est plus à la séduction. Ces façons de faire, archaïques et révolues, étaient le quotidien des journalistes des années 1970 : Danielle Breem, Françoise Giroud, et plus tard, Christine Ockrent. « On pensait à l’époque qu’il fallait séduire pour faire son travail », détaille Anne Bourse, journaliste politique à France 3. « Aujourd’hui, on est plus du tout là dedans. Mais il subsiste un problème fondamental : le fait que certains considèrent encore les journalistes femmes comme illégitimes. »
“Entre cliché machiste et efficacité éditoriale, Françoise Giroud était alors persuadée que les hommes politiques se dévoileraient plus facilement face à des femmes. Quarante ans plus tard, nous, la génération de femmes journalistes chargées de couvrir la politique française sous les présidences Sarkozy et Hollande, vivons au quotidien cette ambiguïté, souvent entretenue par les hommes politiques.” – extrait de la tribune de Libération, 5 mai 2015Est-il plus compliqué de faire son boulot lorsque l’on est confronté à ceux qui ont des comportements tendancieux ? « Si je peux avoir l’info par un seul interlocuteur, mais qu’il m’envoie des messages déviants pour me donner l’information, je préfère passer 40 coups de fils sans passer par lui, pour avoir mon info », raconte Laure Bretton.
Malgré tout, la nouvelle génération des journalistes politiques actuelles, jeunes et précaires, est encore réticentes à parler : « C’est à nous, dans ce cas, journalistes titularisées, installées, dans la presse parisienne, de servir de porte-parole. », estime Lenaïg Bredoux.
Proche du pouvoir, au dessus des lois
D’après une étude du défenseur des droits, 20% des femmes disent avoir été confrontées à une situation de harcèlement sexuel au cours de leur vie professionnelle. Même si les comportements machistes et sexistes ne se réduisent pas à la sphère politique, ils y sont particulièrement accentués :
« J’ai été au service économie. La relation n’est quand même pas la même, témoigne Anne Bourse. Ces comportements existent dans tous les milieux. Mais il y a quand même ce sentiment d’être au dessus des lois, au dessus d’un certain nombre de choses, en politique, plus qu’ailleurs. »
Un argument repris par Marlène Coulomb-Gully chercheuse en communication politique et professeur à l’université Toulouse 2. « Ce qui peut expliquer en partie l’importance du sexisme dans le monde du journalisme politique, c’est que le monde politique a longtemps été strictement masculin. Il s’est structuré sur l’exclusion des femmes et fonctionnait dans une forme de huis clos qui faisait que les hommes vivaient entre eux. Le journalisme politique était aussi fortement masculin. Ces deux mondes fonctionnaient en miroir l’un de l’autre, on avait des hommes des deux côtés. Quand les femmes sont arrivées dans le monde politique et journalistique, la masculinité des deux mondes est apparue de façon très forte. »
Une nouvelle assemblée, de nouveaux comportements ?
Les comportements déviants seraient donc dus à la forte imprégnation masculine en politique. Se résument-ils donc uniquement aux hommes politiques sexagénaires, chauves, bedonnants et en place depuis des années ? L’effondrement des partis traditionnels et la percée de nouvelles forces politiques, tels que En Marche et La France Insoumise, aux dernières élections législatives, aurait pu laisser penser à un changement dans les rapports entre journalistes et politiques. « Chez les jeunes, il y a aussi des comportements déviants. Les fautifs et les gros lourds, c’est consubstantiel », nuance Laure Bretton.
Néanmoins, ces attitudes ont tendance, malgré tout, à diminuer. Les nouveaux partis font appel à davantage de députés issus de la société civile, conscients du problème, et ayant un rapport différent au pouvoir. Mais surtout, la loi sur l’égalité réelle entre les hommes et les femmes de 2014 commence à montrer ses premiers effets.
Désormais, les députées représentent près de 40% de l’hémicycle, contre un peu plus de 25% en 2012. La parité semble être, pour les journalistes politiques, une véritable solution pour atténuer davantage les comportements sexistes et gommer l’entre-soi. « Seule l’arrivée des femmes dans cet univers peut faire changer les choses. D’autant plus si elles sont conscientes du sexisme de la société », explique Marlène Coulomb-Gully.
Le changement sera long. En attendant, il passe aussi par la prise de parole et la publication d’enquêtes sur ce sujet. Cela serait, justement, le rôle que les journalistes auraient à jouer, selon Lénaïg Bredoux. « Notre travail, c’est de relater des faits, travailler sur ces violences… En fin de compte, notre responsabilité de journaliste politique reste de faire notre travail de journaliste. »