Redonner une vraie place au spectateur, tel est le credo des nouveaux médias vidéos sur Internet. Exit les duplex chronométrés et l’interview classique de l’homme politique assis à son bureau. Parmi ces nouveaux formats digitaux, deux médias attirent l’oeil : Brut met en lumière le live et les commentaires, Targo, quant à lui, propose d’ambitieuses vidéos immersives et interactives à 360 degrés.
Rémy Buisine : le journaliste qui donne une parole brute
Pas besoin d’une grosse caméra contraignante, juste d’un smartphone et d’un peu de bagout. En avril 2016, Rémy Buisine se faufile parmi les Nuits Debout de la place de la République et diffuse ses vidéos en live sur le réseau social Périscope. Un soir, un groupe de manifestants décide de se rendre à l’Élysée, des CRS les en empêchent. Rémy Buisine est là pour filmer les échauffourées. Résultat : 80 000 spectateurs interloqués le suivent en direct, et posent des questions par le biais des commentaires.
Pour la première fois, l’actualité devient participative, interactive, dans un souci d’exhaustivité et de transparence propres au live. « L’immersion doit montrer les bonnes comme les mauvaises choses », commentera le lendemain le journaliste autodidacte sur la chaîne Public Sénat. En somme, Rémy Buisine offre un contenu brut, sans artifice ou mise en scène.
Quelques mois après les blanches Nuits Debout, Rémy Buisine devient l’égérie du média Brut et organise ses lives sur celui-ci. Encore une fois, l’initiative plaît : Brut recueille plus de 630 000 followers sur Facebook, 170 000 sur Twitter. « Je n’ai aucune contrainte journalistique, si je veux faire deux heures de live, je le fais. Je prends le temps d’interroger les gens sur le temps long », raconte-t-il.
D’autres règles sont à respecter : refuser la « quête de la petite phrase » pour collaborer au maximum avec les internautes. Mais aussi rester factuel, éviter l’écueil du militantisme politique, entretenir la conversation la plus juste, sans tomber dans la complaisance, ni la défiance. « Mettre un politique face à ses propres contradictions ne signifie pas le juger », conclut-il. Bref, un format brut qui mobilise les citoyens. Loin d’être abrutissant.
Targo : du 360 qui gambade dans les (hors) champs
Si Rémy Buisine fait participer les internautes de manière active, d’autres moyens sont bons pour sortir du cadre politique classique. Le média Targo, jeune pousse basée dans l’immense incubateur Station F à Paris, s’est penché sur la vidéo à 360 degrés. En décembre 2016, Emmanuel Macron, alors candidat « outsider », organise son premier grand meeting à la porte de Versailles. Chloé Rochereuil, 23 ans et co-fondatrice de la start-up, s’installe, armée d’une caméra filmant à 360 degrés dans la loge du futur président qui lui accorde une interview. Tout le hors-champ s’offre au spectateur : la maquilleuse, les journalistes, la sécurité, Brigitte Macron qui s’impatiente, etc.
Les propos d’Emmanuel Macron sont un prétexte, l’objet de la vidéo est de dévoiler au spectateur le hors-champ de cette communication politique bien léchée. Un autre exemple frappant est cette mise en scène du même candidat Macron se recueillant devant le mur des morts au mémorial de la Shoah. « Filmer à 360 apporte un contexte, de l’information supplémentaire à ce que signifie être un candidat en pleine campagne » décrypte Chloé Rochereuil.
« Si nous sommes tous addicts au scroll vertical, nous pouvons vite le devenir au scroll horizontal »
Récemment, la jeune femme a dû interviewer un maire impliqué dans un conflit sur des logements sociaux : le bureau de l’élu, sa Rolex et le « Figaro » posés sur la table sont autant de détails illustrant sa personnalité, son environnement, le tout immortalisé par la 360.
Une forme de transparence en soi, qui a ses limites : « le spectateur dispose d’une grande liberté car tout un monde s’offre à lui, mais en même temps, il déteste devoir choisir, alors on a développé des techniques de storytelling propre à la 360 pour guider le regard », analyse la jeune journaliste. « Mais si nous sommes tous addicts au scroll vertical, nous pouvons vite le devenir au scroll horizontal », ajoute-t-elle.
Montrer les rouages, l’ambiance dans sa totalité, capter les interactions invisibles dans une vidéo classique, donner le choix au spectateur : voilà le but de ces contenus immersifs encore marginaux en France. « Actuellement, les journaux français sont un peu réfractaires au changement, tandis que toutes les rédactions américaines ont un pôle de réalité virtuelle. Nous travaillons donc notamment avec le « New York Times » », explique Chloé. Sans plus attendre, immergez-vous !